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Les réfugiés nucléaires, 4 ans après

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Note : Cet article, écrit en  mars 2015, est paru dans la revue Sortir du Nucléaire N° 65 de juin 2015

Les réfugiés nucléaires, 4 ans après

Entre réfugiés victimes du tsunami et réfugiés nucléaires suite à la triple catastrophe du Tohôku de mars 2011 (séisme, tsunami, série d’accidents nucléaires), le nombre de personnes ayant perdu leur logement s’élevait à 360 000 au moins, dont environ 160 000 évacués nucléaires. Les évacués volontaires, c’est-à-dire les personnes qui ont choisi de quitter les villes où l’ordre d’évacuer n’avait pas été donné en dépit de la contamination nucléaire et de taux de radioactivité dépassant la norme, ne sont pas prises en compte dans ce calcul. Le nombre d’évacués volontaires est difficile à évaluer, d’autant que les familles ont souvent explosé, des mères de famille inquiètes pour la santé de leurs enfants faisant le choix de divorcer ou de s’éloigner de leurs maris moins préoccupés par la situation ou obligés de rester pour le travail,  pour aller vivre plus en sécurité (mais aussi dans la précarité) avec leur progéniture dans d’autres régions du Japon.

Quatre ans après la catastrophe, les chiffres officiels indiquent que 61% des personnes déplacées sont toujours considérées comme des réfugiés : elles sont encore en attente d’un lieu de vie et d’un logement définitifs. Leur hébergement actuel se fait soit dans la famille, soit chez des amis, soit dans des appartements mis à disposition provisoirement par certaines municipalités, soit enfin dans des cités d’urgence préfabriquées construites à la hâte, les Kasetsu jûtaku,  « habitations provisoires ».

Sur les 160 000 évacués nucléaires, près de 119 000 se trouvent encore dans cette situation d’attente, dont 73 000 environ à l’intérieur du département de Fukushima et près de 46 000 dans d’autres régions. Divers types de compensations financières ont été mis en place. Grâce notamment aux dédommagements perçus pour la perte de leurs biens immobiliers, certains réfugiés ont réussi à refaire leur vie ailleurs, mais d’autres attendent encore ces versements. Monter un dossier de demande de dédommagements était fort complexe et beaucoup de réfugiés l’ont fait avec retard, un petit nombre y a d’ailleurs renoncé.

Après la catastrophe, la société TEPCO a indemnisé  les 160 000 évacués nucléaires à raison de 100 000 yens (760 euros au cours actuel) par personne, enfants compris, payés en une fois pour 5 ans, soit 6 millions de yens (près de 46 000 euros). Les réfugiés du tsunami, eux,  ont reçu très peu d’aides financières et ce traitement différent passe très mal au sein des populations touchées. Il convient de ne pas oublier que l’Etat a avancé des sommes considérables à la société TEPCO pour couvrir la majorité des frais.

Je suis allée à Iwaki, à 60 km de la centrale de Fukushima-1, en mars 2015 pour interviewer des réfugiés et visiter des cités d’urgence. Il y a encore 24 000 réfugiés dans la ville. Mes informateurs étaient des réfugiés originaires de la petite ville d’Ôkuma, qui a le triste privilège d’héberger 4 réacteurs de la centrale accidentée et accueille depuis peu une partie des millions de tonnes de déblais radioactifs dont le département est envahi. À Iwaki, touchée par le tsunami, le prix des terrains en ville a quadruplé avec l’arrivée des réfugiés nucléaires. Mes informateurs m’ont raconté comment la jalousie et le malaise dus à la différence de traitement entre réfugiés peuvent se manifester : à l’école, leurs enfants ont été surnommés « les 6 millions », par allusion à la compensation financière dont ils ont bénéficié.

Les logements provisoires sont soit des baraquements de bois avec toits de tôle ondulée, soit des blocs métalliques évoquant des conteneurs. Les habitants sont là depuis un peu plus de 3 ans, l’occupation des locaux, qui ne devait pas excéder 2 ans, a été prolongée jusqu’en 2017 : la construction des logements définitifs traîne, faute de main d’œuvre, et le problème ne va pas s’arranger avec la préparation des Jeux Olympiques de 2020. Dans les baraquements - deux pièces minuscules, une petite cuisine de fortune et des sanitaires aux dimensions restreintes -, les réfugiés sont regroupés par ville ou quartier d’origine. Ils ne paient pas de loyer mais s’acquittent des charges.

Aujourd’hui, ce sont surtout les plus âgés qui occupent encore les baraquements, les familles avec enfants ayant rapidement tenté une nouvelle vie ailleurs. Ceux avec qui j’ai pu parler se contentent de rêves de réfugiés : espérer un logement définitif, peut-être un champ où pratiquer un peu de maraîchage et de riziculture « comme avant », survivre jusque là, accepter de ne plus revoir leurs maisons, leurs belles propriétés entre océan et forêts, vaincre l’insomnie et la dépression

Souvent, les mesures de la radioactivité que j’ai prises à proximité des logements provisoires dans diverses villes indiquent un taux trop élevé, mais plus personne ne semble s’en soucier et le gouvernement pousse les gens à revenir dans l’ex- « zone interdite », rebaptisée et découpée aujourd’hui en zone de « préparation à l’annulation de la directive d’évacuation » , zone de « restriction de résidence » et  zone de « retour difficile ». La décontamination en cours,  extrêmement lente et globalement inefficace, est un leurre mais les indemnisations cessent dès qu’un quartier est réputé « décontaminé » et la population appelée à retourner y vivre et à gérer elle-même son taux d’exposition à la radioactivité. Environ 15% des habitants envisagent de revenir.

Tout est fait  pour convaincre les réfugiés de rentrer et tirer un trait sur la tragédie. Développement du tourisme, personnalités et artistes invités, visites scolaires, idéalisation de la culture culinaire locale et de la beauté du lieu : aucun argument n’est épargné pour mettre en œuvre le « retour au pays » alors que les compteurs Geiger continuent de biper dangereusement et que sur le site de la centrale accidentée les problèmes succèdent aux problèmes et les facteurs de risques continuent de s’accumuler.

Pour comprendre  :

  • Zone dite de préparation à l’annulation de la directive d’évacuation : moins de 20 millisieverts/an (20 fois la norme), séjour et travail autorisés le jour uniquement
  • Zone dite de restriction de résidence : séjour autorisé le jour uniquement, 20 à 50 mSv/an
  • Zone dite de retour difficile : zone fermée pour une durée indéterminée, plus de 50 mSv/an

Liens :

http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/recovery/AJ201503070036 “FOUR YEARS AFTER: More than 60% of evacuees still stuck in temporary housing”

http://ajw.asahi.com/article/0311disaster/fukushima/AJ201502250050 Fukushima cleanup fails to convince as just 10 to 20% of evacuees seek return


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